Chapitre 1: LA CONNAISSANCE DU VIVANT - Philosophie Terminale D | DigiClass
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LA CONNAISSANCE DU VIVANT

I.  INTRODUCTION

Le terme "Biologie" est apparu en 1802 dans les écrits du naturaliste allemand TREVIRANUS (1776-1837) et du zoologiste français LAMARCK (1744-1829), indépendamment l'un de l'autre. Etymologiquement, la Biologie dérive de deux (02) mots grecs (bios : vie et logos : science, discours ou étude). Mais, loin d'être la science de la vie, la biologie est la science du vivant car la vie est insaisissable. Elle est une abstraction métaphysique. C'est ainsi que le philosophe français Georges CANGUILHEM (1904-1995) disait que « La vie n'existe pas », seuls des vivants existent.

La biologie désigne, d'une part, un ensemble de disciplines qui expliquent la nature et le fonctionnement des organismes (c'est par exemple l'anatomie, la
physiologie, la cytologie et l'histologie. D'autre part, la biologie renvoie à des disciplines qui veulent examiner l'évolution et le développement des organismes (c'est le cas de la génétique et de l'embryologie. Comme toute science, la biologie a son objet d'étude qui est le vivant. Comment celui-ci est-il constitué ? Autrement-dit, quelle est la nature du vivant ? Quelles difficultés cette nature implique-t-elle sur la recherche biologique ? Quelle est l'origine des espèces et comment pouvons-nous interpréter leur évolution ?
Telles sont les questions qui retiendront notre attention au cours de cette analyse.

II.  LA NATURE DU VIVANT

A propos de la nature du vivant, les avis sont partagés : ceux qui pensent qu'une explication scientifique du vivant est possible et ceux qui estiment que le vivant demeurera toujours un mystère pour la science.

A.  Le mécanisme

Le mécanisme est la doctrine qui explique le vivant à partir de ses propriétés physico-chimiques. Il n'y a aucune âme qui anime l'organisme vivant. Celui-ci se réduit à un agencement de pièces objectivement explicables. C'est l'exemple de la théorie des "animaux-machines" chez René DESCARTES (1596-1650). En effet, DESCARTES suppose que les organismes vivants sont des automates. Ainsi, le corps humain serait une machine de terre, formée par Dieu en sorte que non seulement « Il lui donne au dehors la couleur et la figure de tous nos membres, mais aussi il mette dedans toutes les pièces qui sont requises pour faire qu'elle marche, qu'elle mange, qu'elle respire » in Traité de l'homme. DESCARTES compare les muscles et les tendons aux ressorts qui servent aux mouvements des machines. Le ceur est comme une pompe-chaudière, les artères sont comparées à des canaux, la circulation à un système hydraulique.

Historiquement, c'est ce point de vue qui a permis à la biologie de devenir une science positive en s'opposant aux conceptions métaphysiques et assez romantiques du vivant. Pour cela, il a fallu chasser l'âme et le principe vital du vivant pour ne voir en lui qu'un mécanisme obéissant aux lois de l'univers.
De ces idées, il ressort que la machine et le vivant entretiennent des ressemblances du point de vue de leur fonctionnement. La question se pose cependant de savoir si le vivant est exclusivement réductible à ses éléments physico-chimiques. Autrement-dit, n'y aurait-il pas en lui quelque chose de miraculeux, ce qui le rend inexplicable par la science ?

B.  Vitalisme et finalisme

A la différence du mécanisme, le vitaliste affirme qu'on ne saurait réduire le vivant àses éléments physico-chimiques. Parce que les arguments du mécanisme sont peu satisfaisants, le vitalisme soutient qu'il existe une force spirituelle et métaphysique qui anime le vivant. Cette force échapperait à toute expérimentation scientifique. La valeur du vivant se situe donc au delà de ses caractéristiques physiques et chimiques. Pour le philosophe français Henri BERGSON (1859-1941), la vie est une force vitale mystérieuse qui est inexplicable par la raison. C'est ainsi qu'il dira que « La vie n'est plus faite d'éléments physico-chimiques qu’une courbe n'est composée de droites ».
Pour les vitalistes, toute explication du vivant doit faire intervenir une force vitale car l'être vivant n'est pas un simple automate ; il contient son propre plan de formation et de régulation. Par exemple, un chat et une horloge ne fonctionnent pas de la même manière. Le chat respire, se reproduit, s'auto-répare (cicatrisation et guérison), ce qui n'est pas le cas de l'horloge. Pour Emmanuel KANT (1724-1804), Un étre organisé n'est pas simplement une machine, car la machine possède uniquement une force motrice ; mais l'être organisé possède en soi une force formatrice ». Voici quelques figures du vitalisme :
HIPPOCRATE (460-377 av. J.C), ARISTOTE (384-322 av. J.C), BICHAT (1771-1802), LAMARCK (1744-1829), Claude BERNARD (1813-1878), Henri BERGSON (1859-1941), etc.

Le finalisme, pour sa part, affirme que la formation du vivant obéit à une intention de la nature (celle-ci n'est pas nécessairement compréhensible par l'homme). Chaque organe existe pour accomplir une fonction en vue de l'harmonie de tout l'organisme. Par exemple, la finalité de l'œil est la vision, celle de l'estomac est la digestion. Et tous les êtres vivants existent en vue d'une fin car la nature elle-méme est un ensemble harmonieux dans lequel chaque être est à sa place et a sa raison d'étre.

III.  DE L'APPARITION DES ESPECES

A.  Le fixisme

Aussi désigné par le créationnisme, le fizisme est la théorie qui affirme que les espéces vivantes sont telles qu'elles sont apparues depuis leur création. Les fixistes admettent qu'à l'origine les espèces correspondaient à des types d'espèces bien définis et immuables. ARISTOTE (384-322 av. J.C) fut le premier théoricien du fixisme. La philosophie d'Aristote repose sur l'éternel et l'immuable. Il n'est donc dans sa vision, les espèces vivantes soient absolument fixes et discontinues. Le fixisme a eu d'illustres représentants comme Carl Von LINNE (1707-1778) au XVIIIe siècle et Georges CUVIER (1769-1832) au XIX siècle. CUVIER affirmait que Les mêmes formes se sont perpétuées depuis l'origine des choses ».

Si la thèse fixiste repose sur des arguments solides, elle suscite cependant une inquiétude : pourquoi l'extinction de certaines espèces anciennes (comme les mammouths et les dinosaures) qu'on ne trouve qu'à l'état de fossiles ? A cette question, les fixistes répondent que c'est par l'intervention d'événements majeurs (comme le déluge biblique, la glaciation ou les cataclysmes naturels) suivie de création d'espèces nouvelles.

B.  L'évolutionnisme

Contrairement au fixisme, l'évolutionnisme (encore appelé transformisme ou mutationnisme) soutient que les espèces vivantes dérivent les unes des autres par transformation lente, graduelle et progressive. En d'autres termes, les espèces vivantes qui existent de nos jours dérivent de formes plus anciennes. C'est une interprétation ationnelle de la genèse du monde vivant en général et de l'homme en particulier. S'il est que la thèse évolutionniste est vraisemblable, ses interprétations restent cependant variées. De Lamarck à Darwin par exemple, nous avons des explications différentes de l'évolution.

1.  Le Lamarckisme

Dens son ouvrage intitulé Philosophie zoologique, le naturaliste írançais Jean￾Baptiste de LAMARCK (1744-1829) explique l'évolution des espèces par deuz idées : l'infiuence du milieu obligeant l'organisme à s'y adapter d'une part, et d'autre part le principe de l'usage et de la désuétude; Le besoin crée l'organe», nous dit LAMARCK. Autrement dit, un organe se fortifie quand le milieu rend son usage nécessaire. Dans le cas contraire, il s'atrophie et disparait progressivement. C'est l'exemple de la taupe qui a des yeux très petits et à peine apparents car de par ses habitudes, elle fait trés peu usage de la ue. C'est aussi le cas du handicapé moteur chez qui l'on peut constater des membres supérieurs très développés.

CRITIQUE DU LAMARCKISME : Si le Lamarckisme se comprend sur certains points, il se heurte cependant au fait que les caractères acquis ne sont pas héréditaires. Ils n'affectent pas le "germen", c'est-à-dire les cellules reproductrices mais le "soma" c'est- à-dire les cellules non-reproductrices. Chaque espèce a son patrimoine génétique héréditaire. (cf. les gènes récessifs et les gènes permanents).

2.  Le darwinisme

Pour le naturaliste anglais Charles DARWIN (1809-1882), l'évolution des espèces s'explique par le triomphe des plus aptes ou la loi de la sélection naturelle. Dans la lutte pour la survie, ce sont les individus les plus adaptés à leur milieu qui survivent. C'est donc eux qui auront le plus de chance de se reproduire, et par conséquent transmettre leurs gènes. Un animal qui aurait une anomalie génétique (par exemple plus de poils que ses congénères) aura plus de chance de survivre dans un environnement plus froid. Il pourra donc transmettre cette "anomalie positive" à toute sa descendance. Cette mutation
génétique se diffusera progressivement aux nouvelles générations de son espèce.

C.  Les problèmes liés à la thèse évolutionniste

L'évolutionnisme se heurte à de multiples interrogations : Quelle est la cause de l'apparition première des espèces ? L'évolution est-elle dirigée vers un but ? Par ailleurs, l'apparition de l'homme était-elle nécessaire ou accidentelle ? Voici là des questions qui mettent en lumière les ambiguïtés de la thèse évolutionniste.

En outre, les évolutionnistes sont peu convaincants quant au caractére scientifique de leur thèse. En effet, ils ont de la peine à expliquer la cause première de l'apparition des espèces qu'ils rattachent au l'évolutionnisme manque de crédibilité car Dieu n'y est pas évoqué. Pour cette raison. les conservateurs et les catholiques aux Etats Unis parviennent à imposer une lo interdisant son enseignement. Ce n'est qu'en 1968 que cette loi sera abolie par la Cour Supreme. En tout état de cause, il reste à savoir que l'évolutionnisme demeure une hypothèse non objectivement vérifiée.

IV.  LES DIFFICULTES LIEES A LA CONNAISSANCE DU VIVANT

A.  Difficultés méthodologiques

La méthode de la biologie est la méthode expérimentale. Celle-ci procède par réduction du tout à ses éléments constitutifs. Cependant, l'expérimentation biologique rencontre des difficultés liées à la spécificité du vivant. La matière inerte est faite d'éléments juxtaposés. Par exemple, les fragments d'une pierre conservent leurs propriétés de façon intacte. Quant au vivant, il constitue un individu, c'est-à-dire un ensemble unifié dont les éléments fonctionnent de façon inter-indépendante. On ne peut donc le décomposer en ses éléments sans que ces derniers ne perdent leurs caractères spécifiques. Nous savons qu'un organe séparé du corps n'assure plus sa fonction et sa durée de vie est limitée. C'est en cela que CANGUILHEM (1904-1995) dira qu'« Il n'est pas certain qu’un organisme, après ablation d'un organe, ovaire, estomac, rein, soit le même organisme diminué d'un organe ». Pour cela, la dissection apparaît comme une expérience sur le cadavre en lieu et place du vivant.

En outre, le vivant en tant qu'individu échappe au principe de généralisation. Et pourtant, selon le mot d'ARISTOTE (384-322 av. J.C), « Il n'y a de science que du général. Cette difficulté liée à la connaissance du vivant, Claude BERNARD la résume (1813- 1878) en ces termes : « Proscrire l'analyse des organismes au moyen de l'expérience, c'est arrêter la science et nier la méthode expérimentale. Mais d'un autre côté, pratiquer l'analyse en perdant de vue l'unité harmonique du vivant, c'est méconnaître la science vitale ».

B.  Difficultés morales

on ne saurait aujourd'hui nier l'aide que la biologie apporte à notre humanité. En effet, grāce à la Procréation Médicalement Assistée (PMA), elle donne aux êtres humains des possibilités inouïes sur la fécondité, transformant complètement les relations parentales à travers le temps et l'espace : congélation de sperme, fécondation in vitro, insémination artificielle, mère porteuse, clonage, sélection des gènes du futur enfant, etc. Du côté des végétaux, les organismes génétiquement modifiés (O.G.M) rendent certaines plantes plus productives et certains aliments plus résistants, ce qui permet de résorber, un tant soit peu, la famine. Pour cela, Jean ROSTAND (1894 -1977) disait que « La science a fait de nous des dieux avant que nous méritions d'être des hommes ».

Cependant, la recherche fondamentale en biologie se heurte à des difficultés morales. La biologie soulève aujourd'hui des interrogations sur le respect et la dignité du vivant. A-t-on le droit de modifier ou de détruire un embryon viable ? Le clonage reproductif (qui consiste à reproduire un être génétiquement identique à soi) est-il moralement acceptable ? Respecte-t-il le droit de l'individu à son originalité et à son unicité ? Bref, doit-on manipuler le vivant comme la matière inerte ? C'est le problème embarrassant que pose la dissection sur les cadavres et la vivisection sur les condamnés à mort ou les animaux. Si les précautions ne sont pas prises, la recherche biologique peut créer des dangers. Les modifications génétiques sont, en effet, à l'origine des maladies émergeantes (cancer, insuffisance rénale, diabète, ...) et les eugénismes. Pour cela, l a été créé des comités de bioéthique dans de nombreux pays pour réfléchir sur les limites à ne pas dépasser en termes de recherche biologique.

V.  CONCLUSION

La biologie a pour objectif de nous fournir une connaissance rationnelle du vivant. Pour réussir sa mission, elle s'est aujourd'hui divisée en de multiples branches. Les progrès dans la recherche biologique ont absolument amélioré les conditions de vie de l'humanite. Mais ce progrès rencontre encore quelques obstacles car, jusque la, l'A.DN.N n'est pas totalement décodÄ—. Aussi, des maladies comme le cancer et le SIDA ne sont. encore vaincus. Ces obstacles s'expliquent en partie par les considérations morales et romantiques du vivant. Parce qu'il n'est pas simple objet, le vivant a droit au respect.
Pour cela, le "principe de précaution" simpose dans recherche biologique.

$\textbf{QUELQUES CITATIONS}$

  • Dans une montre, un rouage ne peut en produire un autre et encore moins une montre d'aute montres. $\textbf{Emmanuel Kant}$
  • La vie est l'ensemble des fonctions qui résistent a la mort. $\textbf{Marie François Xavier Bichat}$
  • Pour le biologiste il n'y a pas de classes, il n'y a que des individus. $\textbf{Jean Rostand}$

$\textbf{QUELQUES SUJETS DE REFLEXION}$

  1. Je ne connais aucune diTerence entre les machines que font les artisans et les divers corps que seule la nature compose. Expliquez et discutez cette pensée de DESCARTES.
  2. Doit-on se passer de tout point de vue moral en biologie ?
  3. Pour connaltre le vivant, faut-il le traiter comme un objet ?
  4. La biologie peut-elle prétendre à l'objectivité ?
  5. La connaissance scientifique du vivant exige-t-elle que l'on considère l'organisme comme une machine ?
  6. Le biologiste peut-il prétendre connaitre la vie en étudiant les étres vivants ?
  7. Sur quoi le respect de la vie peut-il se fonder ?
  8. Le vivant est-il entièrement connaissable ?
  9. Dégager l'intérét philosophique du texte suivant à partir de son étude ordonnée :
    Je suppose que le corps n'est autre chose qu'une statue ou machine de terre que Dieu forme tout exprès pour la rendre plus semblable à nous qu'il est possible. En sorte que non seulement il lui donne au-dehors la couleur et la figure de tous nos membres, mais aussi qu'il met au-dedans toutes
    les pièces qui sont requises pour faire qu'elle marche, qu'elle mange, qu'elle respire et enfin qu'elle imite toutes celles de nos fonctions qui peuvent étre imaginées procéder de la matière et ne dépendre que de la disposition des organes. Nous voyons des horloges, des fontaines artificielles, des
    moulins et autres semblables machines qui, n'étant faites que par des hommes, ne laissent pas d'avoir la forme de se mouvoir d'elles-mêmes en plusieurs diverses façons et il me semble que je ne saurais imaginer tant de sortes de mouvements en celles-ci que je suppose étre faites des mains de Dieu, ni lui attribuer tant d'artifices que vous n'avez sujet de penser qu'il y en peut avoir encore davantage,

René DESCARTES, Traité de lhomme, Gallimard, 1952, p.807