Chapitre 2: AUTRUI - Philosophie Terminale D | DigiClass
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AUTRUI

I.  Introduction

Ce serait une lapalissade voire un truisme que d'affirmer que nous ne sommes pas seuls au monde. Nous  vivons avec d'autres personnes avec lesquelles nous sommes en interaction. Cette situation met autrui au centre de notre existence comme si nous ne pouvons pas vivre sans lui il devient indispensable comme le disait Seydou Badian : « l'homme n'est rien sans les hommes il vient dans leurs mains il repart dans leurs mains ». Mais même si autrui nous est d'une aide précieuse il n'en demeure pas moins que notre relation à autrui ne soit pas un long fleuve tranquille. Elle est parsemée de violents orages, de turbulences impétueuses. À tel point qu'on penserait pouvoir vivre sans autrui. En effet autrui est souvent l'auteur de nos malheurs, de nos peines et tout ce qui s'ensuit. À tel point qu'on peut penser vivre sans autrui loin du tout mais la réalité est tout autre, il est difficile voire impossible de se passer d'autrui. Ce constat nous amène à nous demander qui est autrui? Pour le savoir il faut clarifier le concept, comprendre les relations qui vont de l'intersubjectivité vers le conflit. Il faudra aussi connaître le rôle d'autrui dans la construction du soi, enfin il faudra choisir l’idéal des relations qui vont du mépris au respect.

II.  Définition

Du latin Alter signifiant autre le terme autrui désigne un ou plusieurs êtres humains éventuellement la totalité des hommes par opposition au sujet et à l'exception de lui.

Il s'agit donc de tous les sujets extérieurs au moi lui-même sujet et différent de lui mais considéré en même temps comme autant de semblables ( alter ego), avec lesquels il est potentiellement en relation. Plus simplement autrui c'est tous les hommes sauf le sujet, c’est-à-dire celui qui parle ou fait l'action.

Nb: le mot autrui et invariables en genre et en nombre il n'admet pas d'article. Cela signifie qu'on ne dit pas l'autrui un autrui les ou des autrui. Mais on peut dire l’autre, les autres d’autrui

III.  De l'intersubjectivité au conflit

A.  De l'existence d'autrui

S'opposant à tout solipsisme selon lequel rien n'existe en dehors du seul moi donc j'ai conscience Husserl montre dans les $\textbf{méditations cartésiennes}$ que la vérité première de la métaphysique et double non seulement je suis certain que j'existe mais en outre je suis certain de l'existence d'autrui qui n'est rien d'autre que notre moi. Comme on  le voit Husserl et Descartes ont des avis bien différents.

Pour Husserl ma subjectivité est d'emblée existante parmi d'autres subjectivités avec lesquelles elle est en interaction ou en relation. C'est ce que définit la notion d'intersubjectivité. Husserl écrit alors « $\textbf{je perçois les autres,d'une part je les perçois comme objets du monde}$ » et d'ajouter d'autre part « $\textbf{je le}$ $\textbf{perçois}$ $\textbf{en même temps comme sujets pour ce même monde}$ ».

La pensée cartésienne nie l'existence d'autrui car pour Descartes je ne suis sûr que de ma seule existence alors que Husserl conçoit un sujet existant parmi d'autres sujets.

B.  La lutte pour la reconnaissance

Dans $\textbf{la phénoménologie de l'Esprit}$ Hegel explique que « la conscience de soi et d'abord simple existence pour soi » puisque elle consiste pour le moi à affirmer son identité avec lui-même.

Dans la rencontre avec une autre conscience de soi chaque conscience de soi cherche à faire reconnaître par l'autre la vérité de son existence pour soi si bien que « le rapport de deux consciences de soi est donc déterminé ainsi elle s’éprouvent elles-mêmes et l'une et l'autre par une lutte à mort». Hegel appelle le maitre la conscience qui sort victorieuse de cette lutte : elle est indépendante et existe pour soi. Et à l'inverse il appelle esclave la conscience dépendante qui existe pour une autre.

Chez Hegel c'est le maître qui est évidemment reconnu conscience de soi au détriment de l’esclave dans cette dialectique.

C.  Le regard d'autrui fige ma liberté

Selon Sartre dans $\textbf{l'être et le néant}$ « autrui est par principe celui qui me regarde» et par le regard duquel je prends conscience de ce que je suis. Par exemple si je fais un geste maladroit ou vulgaire sans le juger qu’autrui me voit « je réalise tout à coup la vulgarité de mon geste et j'ai honte ».

Ainsi par son regard « autrui est le médiateur et dispensable entre moi et moi-même » car « je reconnais que je suis comme autrui me voit». Mais ce faisant le regard d'autrui m’enferme parce qu'il me contraint à me percevoir comme il me perçoit.

D'où la fameuse réplique d'Inès à Garcin dans $\textbf{huis clos}$ de Sartre: «je ne suis rien d'autre que le regard qui me voit que cette pensée incolore qui te pense » et Garcin de conclure: « pas besoin de gril. L'enfer c'est les autres ».

IV.  LE RÔLE D'AUTRUI DANS LA CONSTRUCTION DE SOI

A.  Autrui pièce maitresse de mon univers

Dans son roman $\textbf{Vendredi ou les limbes du Pacifique}$ Michel Tournier montre comment Robinson Crusoé privé de la présence d'autrui subit une lente et profonde déstructuration: altération de la perception sentiment d'inquiétantes étrangetés hallucinations... « Quand on se plaint de la méchanceté d'autrui on oublie cette autre méchanceté plus redoutable encore celle qu'on aurait eu les choses s'il n'y avait pas autrui», écrivait Robinson dans son journal. Sans autrui on a du mal à percevoir les choses.

À partir de ce roman le philosophe Gilles Deleuze montre dans $\textbf{logique du sens}$ qu'« autrui n’est ni un objet dans le champ de ma perception ni un objet qui me perçoit, c'est d'abord une structure du champ perceptif ». Par-là, il faut entendre une structure a priori de la perception qui préexiste comme condition d'organisation générale. Pour Deleuze c'est autrui qui m'aide à organiser mais perception du monde extérieur.

B.  L'identification à autrui.

Dans $\textbf{psychologie de foule et analyse du moi}$ Freud donne une explication du processus psychique de l'identification « l’identification aspire à rendre le moi propre semblable à l'autre pris comme modèle». Autrement dit l'identification consiste à s'approprier une propriété psychique de l'autre comme dans la phase finale du complexe d'Œdipe, lorsque l'enfant acquiert son identité psychosexuelle en s'identifiant aux parents de même sexe que lui. Du point de vue psychologique l'identification est le processus par lequel le sujet se construit. Plus simplement grâce à l’identification nous devons adopter le comportement du sexe que nous avons soit agir  comme notre père pour les garçons ou comme notre mère pour les filles. Mais il faut préciser que la parenté n'est pas seulement liée à la biologie une tierce personne pour être aussi l'objet de l'identification d'un enfant.

V.  DU MÉPRIS AU RESPECT D'AUTRUI

A.  La haine de l'étranger ou le narcissisme des petites différences

Autrui est aussi l'étranger c'est-à-dire celui qui appartient à une autre culture que la mienne (familiale, locale, nationale) et au contact de qui je vis parce qu'il est aussi mon semblable. Dans la haine de l'étranger Freud  décèle l'existence d'un amour de soi particulier qu'il appelle le narcissisme des petites différences « ce sont justement les petites différences dans ce qui se ressemble par ailleurs qui fonde le sentiment d'étrangeté et d'hostilité entre les individus». C'est de là que proviennent la xénophobie mais aussi le racisme mais aussi «ce phénomènes  que justement les communautés voisines et apparentées se combattent et se raillent réciproquement».

B.  La dignité de la personne humaine

Dans $\textbf{la métaphysique des mœurs}$ Kant soutient que « l'humanité est elle-même une dignité» et que par conséquent l'homme « est obligé de reconnaître dans le registre pratique la dignité de l'humanité en tout autre homme».

C'est pourquoi « mépriser d’autres hommes c'est-à-dire leur refuser le respect qui est dû à tout homme en général est dans tous les cas contraire au devoir  » parce que chaque homme entant qu’être raisonnable constitue une personne c'est-à-dire une fin en soi.

Pour résumer la pensée de Kant  tout homme a droit au respect du simple fait qu'il est un être humain.

C.  Le face à face avec le visage d'autrui

Pour Emmanuel Levinas la rencontre avec autrui et d'abord une rencontre avec son visage. Dans $\textbf{éthique et infini}$ il écrit que « le visage parle il est parole d'avant la parole originaire ». Autrement dit avant même le discours verbal le visage est déjà une expression de l'autre qui à travers l'expérience du face-à-face au sens propre me communique sa fragilité ».

Le visage d'autrui ne peut me laisser indifférent et crée pour moi des obligations « je suis responsable d'autrui sans attendre la réciproque ». Le visage de l'autre engage ma responsabilité envers lui-même s'il ne se sent pas concerné par moi.

VI.  Conclusion

En définitive autrui c'est l'autre celui qui diffère de moi et avec qui je peux rentrer en relation. Même si on peut nier son existence (Descartes) nous sommes toujours en relation avec autrui (Husserl). Cette relation  relève souvent du conflit, de la lutte pour la reconnaissance (Hegel). C'est aussi à travers son regard qu’autrui  me dit comment je suis (Sartre). En plus c'est autrui qui me permet de me construire un organisme ma perception (Gilles Deleuze) et me fournissant un support d’identification psychosexuelle (Freud). Mais autrui peut-être l'objet de mépris (Freud), toutefois autrui a droit au respect (Kant) et nous en sommes toujours responsables (Levinas). L'idéal des relations avec autrui doit viser l'harmonie et l'apaisement. Cela passe par la connaissance des autres et l'acceptation des différences. Puisque la relation intersubjective est indispensable. Il faut alors garder en mémoire les propos de Martin Luther King qui disait « nous devons apprendre à vivre ensemble comme des frères, sinon nous allons tous mourir ensemble comme des idiots ». Et Antoine de Saint-Exupéry de surenchérir « si tu diffères de moi frère loin de me léser tu m'enrichis».

Citations

« Nous ne vivons que par relation à autrui». Pierre charron

L'Eternel dieu dit : « il n'est pas bon que l'homme soit seul ». Genèse chapitre 2 versets 18

« La première union nécessaire est celle de deux êtres incapables d'exister l'un sans l'autre » Aristote

« L’éducation doit surtout disposer à vivre pour autrui afin de revivre en autrui par autrui un être spontanément enclin à vivre pour soi et en soi» Auguste comte

« L'individu ressent non pas l'absence de la présence de l'autre mais l'absence de sa propre présence en tant qu'autre pour l'autre » Ronald Laing

VII.  Exercices d'applications

Exercices

Qui est autrui ?

Peut-on vraiment vivre sans autrui ?

Peut-on certainement affirmer l'existence d'autrui?

Autrui obstacle ou tremplin ?

Est-ce vain de prétendre connaître autrui?

Autrui est-il un ami ou ennemi ?

Le respect d'autrui doit-il être lié à sa condition sociale ?

Autrui est-il un frein à ma liberté ?

Pouvons-nous être tenus pour responsable des actes des autres ?